Le 21 avril 2022, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Mairie de Paris, a levé le voile sur la « nouvelle version » de la ZAC Bercy-Charenton. Si les contours réels du projet seront dévoilés lors d’une concertation publique en juillet, il semble déjà que la vocation ferroviaire de la Petite Ceinture soit totalement ignorée, étant reléguée comme simple « voie verte ».
De même, de nombreux points d’interrogation demeurent quant aux raccordements avec les voies de la gare de Lyon et à la gare de La Rapée. Autant d’infrastructures qui paraissent pourtant indispensable pour desservir efficacement ce futur quartier.
Sommaire
- Le retour du projet de ZAC Bercy-Charenton
- Les nouvelles orientations de la ZAC Bercy-Charenton
- La Petite Ceinture, simple « voie verte » et variable d’ajustement du projet ?
- Prolongement de la rue Baron le Roy : un nouveau passage à niveau sur la Petite Ceinture ?
- La vision de notre association
- Desservir efficacement le nouvel éco-quartier de Bercy-Charenton
- La concertation publique de juillet 2022
Le retour du projet de ZAC Bercy-Charenton
Ce projet d’aménagement du sud-est parisien remonte aux années 2000, et est le fruit d’une réflexion commune entre les villes de Paris et de Charenton, la SNCF et RFF (aujourd’hui SNCF Réseau). Souvent qualifié de « dernier grand chantier de la capitale », le projet s’étend sur une zone de 80 hectares, gagnée en grande partie sur des infrastructures ferroviaires sous-utilisées depuis les années 90.
La zone à aménager est bordée par l’immeuble Lumière et le musée des Arts forains (Nord), le périphérique et l’échangeur de l’autoroute A4 (Sud), le faisceau des gares de Lyon et Bercy (Est) et la Seine (Ouest). L’aménagement de cette zone vise à répondre à un triple-objectif :
- Palier la crise du logement à Paris ;
- Augmenter le nombre d’espaces verts à Paris ;
- Estomper la frontière entre Paris et sa banlieue.
Les procédures en vue de la création de la ZAC de Bercy-Charenton sont lancées en 2013 par la Ville de Paris. Cinq ans plus tard, un vote du Conseil de Paris du 2 juillet 2018 acte le lancement de la ZAC.
Ce projet initial devait s’articuler autour de 6 gratte-ciels (dont un culminant à 180 mètres de haut). L’opération, conçue par l’architecte britannique Richard Rogers, ambitionnait de créer un véritable « quartier métropolitain » sur un million de mètres carrés.
Cependant, les élections municipales de 2020 rebattent les cartes. Signé entre les deux tours, l’accord signé par les listes d’Anne Hidalgo et celles d’EELV prévoit sa remise à plat. Le 15 février 2021, un appel à projet est lancé par la Ville de Paris, la Semapa et SNCF Immobilier, afin de définir des activités provisoires. Cet « urbanisme transitoire » vient précéder l’aménagement définitif de la zone, dont les premières esquisses ont été dévoilées par la Ville le 21 avril 2022.
Les nouvelles orientations de la ZAC Bercy-Charenton
Selon la Ville de Paris, la « nouvelle version » du projet doit s’orienter vers un urbanisme plus sobre, moins énergivore, et prenant en compte les impératifs liés au changement climatique. Le programme d’aménagement s’articule autour de 6 grands points forts :
- » Un quartier à l’écoute des usages » qui favorise la participation citoyenne ;
- » Un quartier en harmonie avec le vivant » qui accorde davantage de place à la biodiversité ;
- » Un quartier sobre et plus économe en ressources » qui réutilise le patrimoine existant et s’appuie sur l’économie circulaire ;
- » Un quartier accueillant et inclusif » qui construit des logements sociaux et soutient le commerce local et solidaire ;
- » Un quartier attentif à la santé des habitants » qui lutte contre les nuisances et améliore la qualité de vie ;
- » Un quartier évolutif » qui pourra se transformer dans le temps.
La majorité des immeubles sont regroupés le long de la rue Baron le Roy, ainsi qu’au sein d’un îlot bordant l’échangeur entre le périphérique et l’A4. Selon l’aménageur, ces derniers ne dépasseront pas les 50 mètres de haut. Néanmoins, leur implantation en bordure de cet enchevêtrement de voies où passent plusieurs milliers de véhicules par jour pose question. De plus, ces immeubles semblent très concentrés, ce qui risque de constituer un nouvel îlot de chaleur urbain – ce que cherche justement à éviter le PLU bioclimatique en cours d’élaboration.
Le projet comprend aussi la construction d’un hôtel logistique de 17000 m². Ce dernier devrait être connecté « à terme » au réseau ferré. Il faudra cependant que le raccordement soit pensé intelligemment, afin d’éviter que les trains de marchandises ne doivent cisailler celles des grandes lignes ou du RER – ce qui est le cas à la Chapelle-International…
La Petite Ceinture, simple « voie verte » et variable d’ajustement du projet ?
Le projet de ZAC Bercy-Charenton prévoit aussi – et surtout – « la création d’un nouveau parc boisé de 3 hectares, en pleine terre, qui connecte le bois de Vincennes à la Seine, le long de la petite ceinture ferroviaire », laquelle devrait être « conservée ».
Ce parc épouserait la forme triangulaire de la zone dite du « hameau ferroviaire », comprise entre la PC et les deux branches du raccordement de Bercy. La Petite Ceinture servirait ainsi à raccorder le parc de Bercy au Bois de Vincennes, en passant au-dessus des voies de la gare de Lyon.
Problème : l’aménageur voit seulement la Petite Ceinture comme simple « voie verte », sans qu’aucune vision en termes de transport ne soit jamais évoquée. Cette dernière serait uniquement réservée à la promenade et aux activités piétonnes.
En clair, les rails serviraient uniquement à « faire joli », à l’instar des promenades ouvertes par la Ville de Paris sur la Petite Ceinture depuis 2013. Et les concepteurs du projet ne semblent pas prendre en compte la capacité de la Ceinture à répondre aux enjeux de desserte de ce futur quartier.
De la même manière, l’avenir des deux raccordements (Est et Ouest) avec le réseau des gares de Lyon et de Bercy semble fortement remis en question, étant eux-mêmes intégrés dans ce nouveau parc.
Pourtant, l’utilisation ferroviaire de ce raccordement avait été évoqué à plusieurs reprises par SNCF Réseau, afin de faciliter les échanges entre les gares de Lyon/Bercy et d’Austerlitz. Il permettrait ainsi au site d’Ivry d’accueillir certains trains de la gare de Lyon, sans que ces derniers ne doivent être garés dans Paris.
Prolongement de la rue Baron le Roy : un nouveau passage à niveau sur la Petite Ceinture ?
Afin de relier effectivement le quartier de Bercy à la ville de Charenton, le projet comprend également le prolongement de la rue Baron le Roy. Actuellement, cette dernière se termine en cul-de-sac sur le talus des voies de chemin de fer.
Néanmoins, la forme que prendrait ce prolongement pose question. D’une part, il nécessiterait la pose d’un passage à niveau sur la Petite Ceinture, au niveau du boulevard Poniatowski.
Conçu pour les vélos et une ligne de bus « à haut niveau de service », ce dernier compromettrait la régularité et le fonctionnement optimal de la ligne remise en service – tant sur le raccordement de Bercy que sur la Petite Ceinture. Ceci serait fort préjudiciable pour la pérennité de l’infrastructure ferroviaire.
D’autre part, il existe une importante différence de niveau entre le faisceau ferroviaire et la rue Baron le Roy. Si l’on aplanit (ou adoucit) le terrain sur lequel sont situées les voies de chemin de fer, le risque est d’amputer définitivement les tunnels de la gare souterraine de La Rapée – dont le sort reste toujours en suspens.
Pourtant, cette infrastructure totalement unique à Paris, comprenant 6 galeries parallèles de 300 mètres de long, s’avère d’une rare pertinence pour la Ville de demain. En effet, il y règne une température constante de 14°C sans aucun moyen de climatisation consommateur d’énergie. Débouchant sur le quai de Bercy, elle pourrait servir d’interface entre le rail et le fleuve – dans un scénario où le quai ne serait plus utilisé comme une voie rapide.
La vision de notre association
L’abandon en 2020 de la version initiale du projet est assurément une bonne chose. Néanmoins, cette nouvelle itération du projet de ZAC Bercy-Charenton pose un certain nombre de questions.
En premier lieu, il est impératif que le budget afférant à la reconstitution de la plateforme ferroviaire de la Petite Ceinture et de ses raccordements soit fléché dès le début du projet. Dans l’ancien projet, ce budget avait été voté par le Conseil d’administration de SNCF Réseau en janvier 2020. Il est primordial qu’il en soit de même aujourd’hui.
En second lieu, il est essentiel que le futur passage à niveau (créé par le prolongement du boulevard Poniatowski) soit strictement limité aux bus, aux piétons et aux vélos – et qu’il demeure circulable par un matériel ferroviaire.
Faute de quoi, un nouveau « trou » émergera sur la Petite Ceinture, empêchant toute utilisation ferroviaire de la ligne. À ce titre, notre association s’étonne que l’autorité organisatrice des transports, Ile-de-France Mobilités, ne soit pas conviée dans les discussions traitant de l’avenir de la Ceinture dans cette zone.
En outre, l’implantation d’un hôtel logistique dans le cadre de ce projet est une très bonne nouvelle. Il permettra en effet de réduire le nombre de camions dans Paris, afin d’assurer la logistique « du dernier kilomètre » via des véhicules non-polluants (camionnettes électriques, vélo-cargos, etc.).
Cependant, il nous paraîtrait judicieux qu’il soit connecté à la Petite Ceinture, permettant le transport des marchandises à l’échelle de Paris vers/depuis des infrastructures similaires (Batignolles, La Chapelle, Les Gobelins, Marché de Rungis, Ports de Paris de Bonneuil ou de Gennevilliers…).
Enfin, notre association exprime son inquiétude quant au devenir des raccordements de la Petite Ceinture, et plus particulièrement au sujet de la branche Est. Depuis les origines du projet, seule la branche Ouest (menant au Pont National) est évoquée. Or le maintien de la branche Est s’avère primordial.
Sinon, il existe un fort risque d’isoler totalement la section Est de la Petite Ceinture du réseau ferré existant. En effet, les voies n’ont jamais été reposées à la hauteur de la gare de Rosa Parks après les travaux du RER E – à l’initiative de SNCF Immobilier, alors même que la Ville de Paris n’y avait émis aucune objection !
Il ne faudrait en aucun cas que la Petite Ceinture Est devienne une « ligne fantôme ». Elle est un maillon essentiel du linéaire de 23,5 km formé par la ligne. Et elle permettrait de desservir des zones largement ignorées par les transports parisiens : Buttes-Chaumont, Belleville, Ménilmontant, Charonne.
Qui plus est, certaines emprises – toujours propriété de SNCF Réseau – seraient particulièrement adéquates pour la logistique urbaine.
À court terme, le maintien réel de l’infrastructure ferroviaire de la Petite Ceinture faciliterait grandement l’organisation d’opérations événementielles destinées aux habitants et aux enfants de ce futur quartier, comme notre association le propose déjà pour le secteur des Batignolles.
Et, à plus long terme, la plateforme ferroviaire permettrait évidemment la reprise des circulations ferroviaires desservant rapidement les portes de Paris, pertinente tant pour du transport de voyageurs que de la logistique urbaine légère.
Ce paradigme est d’autant plus important dans le contexte actuel, où réduire la part modale du transport routier est impératif pour diminuer l’empreinte carbone de la logistique.
Sans oublier la question de l’avenir du périphérique : Alors que certaines villes, comme San Francisco, ont justement supprimé leurs autoroutes urbaines, certains candidats à la Mairie de Paris avaient proposé (ou suggéré) la suppression du Périphérique. Renforcer les transports parisiens – et donc rouvrir la Petite Ceinture – proposerait un report modal efficace aux automobilistes.
Desservir efficacement le nouvel éco-quartier de Bercy-Charenton
Les objectifs de cette nouvelle zone à construire sont clairs : accueillir 3500 habitants, 3900 emplois, et créer 6000 m² de commerces et 12 000 m² d’équipements publics.
Cependant, il paraît irréaliste d’accroître la densité de population dans cette zone sans augmenter la desserte en transports en commun. Or le projet semble se reposer exclusivement sur l’arrêt « Baron le Roy » du T3a… alors que cette ligne est déjà saturée sur toute sa longueur ! Et ce n’est sans doute pas une ligne de bus supplémentaire qui pourra absorber le flux de voyageurs quotidien supplémentaire…
Ainsi, les nouveaux habitants et travailleurs de la zone n’auraient d’autre choix que de se rabattre sur la ligne 8 du métro à la station Porte de Charenton, pourtant située de l’autre côté du faisceau de la gare de Lyon. De même, la station“Cour Saint-Émilion de la ligne 14 est situé à grande distance (plus de 800m).
Dès lors, pourquoi la vocation ferroviaire de la Petite Ceinture ne semble-t-elle pas prise en compte dans ce nouveau projet ? Est-il encore besoin de rappeler la pertinence d’une ligne circulaire située au cœur de l’Ile-de-France, et reliée à la majorité des réseaux ferroviaire desservant Paris ?
La ligne de Ceinture ne doit en aucun cas devenir une simple « variable d’ajustement » dans ce vaste projet urbain innovant. Sa desserte par le rail paraît une évidence pour ce nouvel éco-quartier innovant.
Silencieux et non-polluant, le ferroviaire est le seul mode de transport réellement vertueux d’une écologie qui ne se limite pas qu’à la surface.
La concertation publique de juillet 2022
En juillet prochain, une délibération du Conseil de Paris doit venir entériner les contours de ce nouveau quartier. Suite à cette première étape, la Mairie de Paris organisera une nouvelle phase de concertation publique, afin de permettre aux parisiens de « débattre des nouvelles orientations » de la ZAC Bercy-Charenton et de leur mise en œuvre.
Cette étape s’avère essentielle. D’une part, elle permettra d’obtenir plus de documents techniques quant aux futures réalisations. D’autre part, ce sera l’occasion pour notre association, ses adhérents et sympathisants de faire entendre leur voix, afin que l’ADN ferroviaire Petite Ceinture puisse trouver naturellement sa place au cœur de ce nouveau quartier du sud-est parisien.
Cette publication a un commentaire
L’erreur a déjà été faite de ne pas conserver une gare marchandise sous les Halles de Paris.
Et puis, une vile durable ce n’est pas « on fait de mauvais choix au départ, et on les corrigera ensuite…à grand frais quand on sera sur la paille »