Mercredi 10 décembre 2025 s’est tenue une grande soirée consacrée à la Petite Ceinture au TLM, dans le 19e arrondissement. Après une table-ronde d’experts, les représentants des différents candidats aux prochaines élections municipales ont pu livrer leur vision sur l’avenir de la ligne. Nombre d’intervenants ont évoqué la PC comme un « corridor écologique », qu’il faudrait « sanctuariser ». Voici l’analyse et les commentaires de notre association.

L’avenir de la Petite Ceinture discuté au TLM
Cette soirée pré-électorale avait pour but de « mettre l’avenir de la Petite Ceinture à l’agenda des débats de cette campagne des municipales 2026 », comme l’indique l’Association des Promeneurs de la Petite Ceinture – organisatrice de cet événement – dans sa présentation.
Une première partie était consacrée à une table-ronde intitulée « La Petite Ceinture aujourd’hui : regards croisés ». Étaient notamment présents :
- Valentine Diguet, ethnobotaniste spécialiste de la nature en ville
- Arnaud Passalacqua, urbaniste et historien, co-directeur de l’École d’Urbanisme de Paris
- Antoine Sander, président et co-fondateur de l’Association des Promeneurs de la Petite Ceinture
- Clara Simay, architecte, coopérative d’architecture Grand Huit.
On remarque cependant qu’aucun représentant du groupe SNCF ou de ses filiales SNCF Réseau ou SNCF Immobilier n’étaient présents lors de cette soirée. Et ce, alors même que la ligne appartient toujours au Réseau Ferré National… Une lettre du groupe SNCF a cependant été lue au cours des débats. Elle rappelle ainsi que SNCF Réseau demeure propriétaire des emprises, le statut de voie ferrée non-désaffectée de la ligne et les règles d’aménagement qui s’imposent à la Ville de par le protocole en vigueur.
De même, nous regrettons que notre association, qui défend la ligne depuis plus de 30 ans, n’ait pas été invitée à participer à ces tables rondes. Nous remercions cependant M. Patrick Rollot pour sa brillante synthèse sur l’histoire de la ligne.

La seconde partie, sobrement nommée « La Petite Ceinture demain : la parole aux candidates et candidats » réunissait les représentants des différents candidats :
- David Alphand, représentant de la liste menée par Rachida Dati (LR)
- Jacques Baudrier, représentant de la liste menée par Ian Brossat (PCF)
- Dan Lert, représentant de la liste menée par David Belliard (Les Écologistes)
- Lamia El Aaraje, représentante de la liste menée par Emmanuel Grégoire (PS)
- Catherine Ibled, représentante de la liste menée par Pierre-Yves Bournazel (Horizons-Renaissance)
- Roland Timsit, représentant de la liste menée par Sophia Chikirou (LFI).
À noter que M. Didier Le Reste, président de Convergence National Rail, avait envoyé une lettre à certains invités des différentes tables-rondes. Hélas, cette contribution n’a pas été mentionnée lors des débats.

Des retours du terrain pertinents
Lors de cette rencontre, les intervenants ont partagé des témoignages et retours d’expérience riches et concrets, offrant un éclairage unique sur la Petite Ceinture de Paris.
Ouvertures au public et corridor écologique, deux vocations antagonistes ?
L’association Espaces rappelle que quatre structures se consacrent à l’entretien de la Petite Ceinture. Si l’ouverture au public était initialement perçue comme une priorité, l’appropriation par les habitants soulève des questions cruciales. Ouvrir, oui, mais à quel prix ? Sans moyens suffisants, l’entretien devient un défi insurmontable.
Chaque semaine, entre 500 et 1500 litres de déchets (rien que pour le 14e arrondissement !) sont ramassés à la main, malgré la présence de poubelles. La moitié du temps des bénévoles est consacrée à nettoyer les déchets laissés par les Parisiens. Autre problème majeur : les chiens. Déjections et urines rendent la gestion du site extrêmement complexe. L’équilibre entre accessibilité et préservation reste donc fragile.

De Rosa Park à « Rosa Crack » : un quartier en déshérence ?
Soulevée par plusieurs riverains et membres du collectif « Rosa Crack », la situation du quartier de Rosa Parks devient très préoccupante. Ainsi, évoquer la verdure à Rosa Parks sans aborder les problèmes du quartier relève de l’illusion. Il y a dix ans, le quartier et la « forêt linéaire » le long du Périphérique était salués comme « pionnier » par Anne Hidalgo.
Aujourd’hui, cet espace est devenu impraticable, tout comme le jardin adjacent, désormais inaccessible. Le quartier, lui, périclite : onze commerces ont déjà fermé, Leroy Merlin et BNP (4000 emplois) ont quitté les lieux. En cause : la concentration de fumeurs de crack, repoussés vers cette zone depuis 2020.
Face à cette crise, le silence de la RIVP, propriétaire des locaux commerciaux – dont le président est M. Belliard – est assourdissant. Aucune réponse aux sollicitations, aucun plan d’urgence pour redynamiser le quartier. L’absence d’action concrète transforme un espace prometteur en symbole d’abandon.
Autant de problématiques à rapprocher de la Petite Ceinture, où des problèmes de sécurité sont parfois à noter (jet de ballast sur les fenêtres des riverains, notamment).

La réversibilité des aménagements de la Petite Ceinture : trois visions complémentaires
Si nombre de candidats ont placé la Petite Ceinture sous l’égide de l’écologie, plusieurs participants ont souligné l’importance de la notion de réversibilité :
- Catherine Ibled, conseillère de Paris, députée de la 13e circonscription de Paris, représentante de la liste menée par Pierre-Yves Bournazel (Horizons-Renaissance)
Pour elle, il est essentiel de ne pas considérer le train comme une option définitivement écartée. Les décisions prises doivent préserver la réversibilité des aménagements, afin de ne pas hypothéquer l’avenir. La SNCF, propriétaire des lieux, reste un acteur clé dans les négociations pour garantir cette flexibilité.
- Roland Timsit, candidat de la liste La France Insoumise à la Mairie du 19e arrondissement, représentant de la liste menée par Sophia Chikirou (LFI)
Il souligne le potentiel logistique de la Petite Ceinture, conçue à l’origine pour le transport de marchandises. Avec 500 000 colis livrés quotidiennement à Paris, il propose une activité mixte : utiliser les infrastructures pour la logistique urbaine le matin (desserte des commerces) et les ouvrir à la promenade l’après-midi. Une solution pragmatique pour concilier utilité économique et qualité de vie.
- Jacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris en charge du logement et de la transition écologique du bâti, représentant de la liste menée par Ian Brossat (PCF)
Sa réflexion s’inscrit dans une perspective moyen-long terme. Dans 50 ans, quels seront les besoins ferroviaires face à la raréfaction du pétrole et à la réduction du trafic automobile ? Plutôt que de prendre des décisions irréversibles, il prône une approche flexible, capable de s’adapter aux évolutions futures. La réversibilité devient ainsi un principe central pour anticiper les transformations de la ville.
L’avenir de la Petite Ceinture : un fact checking nécessaire
Au cours des différents échanges, plusieurs éléments ont attiré notre attention, et méritent d’être commentés :
- « La Petite Ceinture est semblable à la Coulée Verte ou à la High Line. »
Plusieurs fois mentionnée, cette affirmation est hélas erronée. Au-delà des questions juridiques, les trois lignes sont bien différentes. La Coulée Verte René-Dumont (12e arrondissement) comme la High Line de New-York sont deux anciennes lignes « en cul de sac », dont le point d’arrivée n’existe plus aujourd’hui. Leur vocation ferroviaire appartient donc sans conteste au passé.
La Petite Ceinture, de son côté, est toujours reliée à la majorité des grandes lignes de chemin de fer : gare Saint-Lazare (Batignolles), gares du nord et de l’Est (Évangile), RER C (Grenelle). Elle fait toujours partie du Réseau Ferré National, notion juridiquement contraignante. De fait, sa vocation ferroviaire demeure intacte. Il s’agit toujours d’une infrastructure structurante, à 2 voies au gabarit ferroviaire.
- « Nous devons proposer des solutions innovantes pour les tunnels et proposer de nouveaux usages : basket 3x3, badminton, paddel, skate. »
Proposé par D. Alphand, ce type d’aménagement est un exemple de « promesse en l’air » ignorant les contraintes réelles. La loi impose des règles draconiennes pour l’accueil du public : sécurité incendie, ventilation, et surtout des accès aux secours (pompiers) qui sont tout simplement impossibles à mettre en place dans des tunnels ferroviaires de la Petite Ceinture.
Cette proposition est donc techniquement irréalisable et nuit à la crédibilité politique devant l’impossibilité de sa réalisation. L’utilisation ferroviaire de la ligne est non seulement réaliste, mais elle profiterait aussi (et surtout) à des centaines de milliers de travailleurs de la métropole chaque jour.
- « Il faut sanctuariser la Petite Ceinture comme corridor écologique, de réserve de biodiversité »
Les promenades et autres bacs à fleurs sur une voie de chemin de fer sont bien jolis, mais il s’agit d’écologie cosmétique. La véritable urgence climatique, c’est de sortir 50 000 voitures par jour du Boulevard Périphérique qui longe la ligne. Un tram-train sur la Petite Ceinture aura un impact carbone mille fois supérieur à n’importe quel jardin partagé, en offrant une alternative réelle à la voiture polluante.
Comme l’expliquait Franck Courchamp, écologue au CNRS et membre du GIEC : « C’est assez incompréhensible que le transport n’ait pas été relancé sur les infrastructures de la Petite Ceinture. Tous les éléments sont là pour que cela soit possible…En remettant le train sur la Petite Ceinture, Paris a une opportunité unique pour verdir la Ville et réduire son empreinte carbone ».
- « La Petite Ceinture est une infrastructure de l’anthropocène, un signe du passé, au même titre que le Périphérique. »
Prononcée par A. Passalacqua, urbaniste et historien, cette affirmation a de quoi interroger. Son auteur s’appuie sur l’ancienneté de la ligne, et sur le fait qu’elle a majoritairement été empruntée par des trains à vapeur ou diesel.
Mais ce parallèle est totalement fallacieux. Mettre sur le même plan le Périphérique et la Petite Ceinture sous prétexte qu’ils sont des infrastructures « lourdes » est une erreur majeure.
Le Périphérique est le symbole du « tout-voiture » et de l’énergie fossile. La Petite Ceinture est le symbole du transport collectif . Le principe « roue acier sur rail acier » offre le meilleur rendement énergétique connu en physique pour déplacer des masses. C’est une infrastructure de sobriété et de mutualisation.
Accuser le train d’être une « vieillerie polluante » comme l’autoroute, c’est confondre la maladie (la voiture individuelle) et le remède (le transport de masse décarboné).
Enfin, rappelons que la transformation du Périphérique ne pourra pas se faire par la seule contrainte ! Accroître l’offre de transports est donc indispensable pour favoriser le report modal.
- « Il convient de se détacher d’un ferroviaire sacralisé. Un espace créé pour transport de marchandises n’a pas forcément besoin de rester besoin de transport de passagers. »
Réduire la Petite Ceinture au fret est un mensonge. Dès la fin du XIXe siècle, c’était une ligne voyageurs majeure ! En 1900, elle transportait 39 millions de passagers par an, servant de « super-métro » avant l’heure.
Il ne s’agit donc pas de « sacraliser » le rail, mais de gérer le manque de transports en commun, tout en favorisant le report modal. Dans une région saturée où le moindre kilomètre de tunnel coûte 200 millions d’euros, posséder un corridor vide et le transformer en parc est un non-sens économique.
Se priver d’une infrastructure existante au nom de la modernité, c’est comme casser un thermomètre parce qu’on le trouve vieux, alors que le patient a de la fièvre !
- « La chute de la fréquentation de 1934 est liée au métro et aux bus, bien plus efficaces que les trains de la Petite Ceinture. Il était donc normal qu’elle ferme ! »
Là encore, il s’agit d’un mensonge par omission. D’une part, seul le trafic local de voyageurs s’est arrêté en 1934, le trafic marchandises et les échanges matériels ayant continué jusqu’aux années 2000. Sans oublier les manœuvres ayant lieu deux fois par semaine au sein du parc Martin Luther-King, qui évite des centaines de camion dans Paris.
En outre, le métro a « tué » la PC parce que les locos à vapeurs étaient lentes et qu’il n’y a pas eu de modernisation – ni de volonté du Syndicat de Ceinture de consacrer à la ligne les investissements nécessaires. À l’époque, la priorité était donnée au fret, qu’il convenait de ne pas gêner.
Enfin, il s’agit de ne pas faire de contresens historique : si les installations de la Petite Ceinture avaient été considérablement modernisées pour les Expos universelles de 1889 et 1900, c’était justement parce que la ligne devait initialement devenir la « colonne vertébrale » d’un réseau de métro à grand gabarit.
- Il faut déconstruire le mythe « plus on va vite, plus on gagnerait du temps individuellement »
Cette analogie est passablement douteuse – d’autant que bon nombre de Franciliens sont contraints d’emprunter des transports bondés, lents et inefficaces. Dans le cas de la Petite Ceinture, le cas est particulièrement criant.
Il y a 120 ans, un train reliait Est-Ceinture (Rosa Parks) à Bercy en seulement 23 minutes. Aujourd’hui, le même trajet prend 41 minutes (avec les lignes E, 5 et 8) ou même 48 minutes en tram… Quel progrès !
Ce cas illustre parfaitement comment l’abandon des infrastructures rapides a dégradé la mobilité quotidienne. Au lieu de gagner du temps, les Parisiens en perdent – et cette régression pèse sur leur qualité de vie, leur productivité et même l’attractivité de la ville.
Rappeler ces faits n’est donc pas une « nostalgie » envers la PC, mais un appel à utiliser cette infrastructure pour réinvestir dans des transports modernes, rapides et accessibles pour regagner du temps, réduire les inégalités et anticiper les enjeux écologiques à venir.
- « Le réseau ferroviaire français décroît depuis plus de 50 ans, c’est peut-être le destin des voies ferrées de disparaître »
Cet argument est à la fois trompeur… et obsolète, puisqu’il confond le passé et l’avenir. Le déclin du réseau est bien réel, mais c’est le résultat des politiques routières des années 70 et de l’ère du « tout-TGV ». Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : la demande en transport ferroviaire n’a jamais été aussi forte.
Les carnets de commandes des constructeurs sont pleins, les collectifs citoyens se battent pour maintenir et rouvrir des lignes, et les Régions investissent massivement. Le rail n’est pas en voie de disparition ; il est la colonne vertébrale de la transition écologique. La vocation du rail n’est plus à la fermeture, mais à la renaissance et à la densification.









