La nouvelle ligne de tram T13, inaugurée le 6 juillet 2022, réutilise en grande partie les infrastructures ferroviaires non exploitées depuis les années 90 de la Grande Ceinture. Retour sur les principales étapes de l’histoire de cette ligne circulaire, conçue à l’origine pour désengorger une certaine ligne de Petite Ceinture…
Quelle différence entre la Petite Ceinture et la Grande Ceinture de Paris ?
Lorsque le chemin de fer de Ceinture à Paris (intramuros) se trouve saturé, les pouvoirs publics décident en 1875 de construire une nouvelle ligne de rocade en dehors de Paris.
En 1875, lorsque la ligne reliant Versailles-Chantiers à Bièves est déclarée d’utilité publique, la ligne intramuros devient « Petite Ceinture » pour se distinguer de la nouvelle ligne en cours de construction, dite de « Grande Ceinture ».
En bleu foncé, la Grande Ceinture de Paris. En jaune, la Grande Ceinture complémentaire ; en violet, la Grande Ceinture stratégique. En vert, le tronçon partagé avec la ligne de Paris – Le Havre ; en orange, celui partagé avec la ligne de Paris – Bordeaux, en rouge celui partagé avec les lignes de l’Est. Et en bleu turquoise, celui anciennement partagé avec la ligne de Vincennes (vers Marles-en-Brie).
La Grande Ceinture en quelques dates-clé
- 4 août 1875 : déclaration d’utilité publique d’une ligne partant de Versailles en direction de Bièvres, en passant par les gares de Saint-Germain-en-Laye, Poissy, Argenteuil, Épinay-sur-Seine, Stains, Dugny, Bobigny, Noisy-le-Sec, Nogent-sur-Marne, La Varenne-Saint-Hilaire, Valenton, Villeneuve-Saint-Georges et Palaiseau.
- 16 juillet 1877 : À l’Est, ouverture des sections entre Noisy-le-Sec et Villeneuve-Saint-Georges ;
- 2 janvier 1882 : Au Nord, ouverture de la section entre Noisy-le-Sec, le Bourget et Achètes ;
- 4 septembre 1882 : à l’Ouest, ouverture de la section entre Achères et Versailles-Chantiers ;
- 1er mai 1883 : au Sud, ouverture de la section entre Juvisy-sur-Orge et Versailles Chantiers ;
- 18 octobre 1886 : au Sud, ouverture de la Grande Ceinture Stratégique entre Choisy-le-Roi et Massy-Verrières ;
- 7 septembre 1924 : à l’Est, ouverture de la Grande Ceinture Complémentaire entre Noisy-le-Sec et Sucy-Bonneuil ;
- Du 12 décembre 2004 au 5 juillet 2019 : réouverture de la Grande Ceinture Ouest entre Saint-Germain-en-Laye Grande Ceinture et Noisy-le-Roi ;
- 1er juillet 2017 : au Nord, ouverture du T11 Express, qui longe la Grande Ceinture et relie Épinay-sur-Seine et Le Bourget ;
- 6 juillet 2022 : à l’Ouest, ouverture du T13 Express, qui reprend la majeure partie de la Grande Ceinture Ouest entre Saint-Cyr et Saint-Germain-en-Laye ;
- Fin 2023 : au Sud, ouverture prévue du T12 Express, qui reprend la majeure partie de la Grande Ceinture et reliera Évry-Courcouronnes à Massy-Palaiseau.
La Grande Ceinture, une seconde ligne de rocade entre les grands réseaux de chemin de fer
La Grande Ceinture, aussi appelée « Grande Ceinture ferroviaire de Paris » dessert la proche et moyenne couronne francilienne. Elle constitue en quelque sorte l’ancêtre du Grand Paris. Il s’agit d’une ligne circulaire ouverte par étape entre 1877 et 1883 et comporte une extension réalisée en 1924.
Longue de 140 km dont 31 km sont partagés avec d’autres lignes, elle compte 33 gares ou haltes. La ligne permet à l’époque de fluidifier le transit et la desserte des gares marchandises franciliennes en reliant l’ensemble des lignes du réseau ferré francilien.
Ce rôle est à l’origine dévoué à une ligne jumelle, la Petite Ceinture de Paris, ouverte entre 1852 et 1869. Depuis les années 1860 – et encore davantage après la reprise des activités économiques consécutive à la guerre franco-prussienne de 1870, la Petite Ceinture se trouve saturée. Dès lors, la Grande Ceinture vise à la soulager d’une partie de son trafic marchandises. Il s’agit des deux seules lignes à l’époque qui permettent aux trains d’assurer une jonction directe sans changement de gare pour les marchandises.
La section allant de Achères à Versailles-Chantiers, qui correspond en partie au parcours du Tram 13 Express et à une partie du RER C, ouvre entre 1882. À l’occasion de ces travaux, 4648 parcelles sont acquises sur 28 communes. Cela équivaut à 22 parcelles par hectare en moyenne !
Les deux ouvrages d’arts les plus importants de la ligne se situent à Saint-Germain-en-Laye :
- Le viaduc du Val Saint-Léger constitue un ouvrage remarquable, le plus long de la ligne avec une longueur de près de 250 m ;
- La gare de Saint-Germain-en-Laye Grande Ceinture (Lisière Pereire) est le bâtiment voyageurs le plus grand de la ligne et unique en son genre.
La ligne est exploitée par le Syndicat du Chemin de fer de Grande Ceinture, constitué le 25 septembre 1875, et qui réunit les compagnies des chemins de fer du Nord, de l’Est, d’Orléans, et de Paris à Lyon et à la Méditerranée.
Le Syndicat du Chemin de fer de Grande Ceinture et le Syndicat du Chemin de fer de Petite Ceinture fusionnent finalement le 24 septembre 1880 – permettant à la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest de rejoindre l’accord. Le Syndicat des deux Ceintures voit ainsi le jour (approuvé par décret le 11 novembre 1881). Son siège est situé au 16 rue de Londres, dans le 9e arrondissement de Paris.
Marchandises et passagers : la Grande Ceinture en pleine expansion
La ligne est expressément dédiée au trafic des marchandises à l’origine. Toutefois, comme dans le cas de la Petite Ceinture, les autorités politiques et les riverains demandent que des trains de voyageurs soient mis en place. Les compagnies de chemin de fer voient d’un mauvais œil ce trafic. Elles considèrent qu’il vient perturber la bonne circulation des trains de marchandises, beaucoup plus lucratifs.
Le 16 juillet 1877, un service de voyageurs est mis place avec 2 trains A/R par jour entre la gare d’Austerlitz et la gare de l’Est.
Les trains arpentent tout l’Est parisien, via les gares d’Orléans-Ceinture, Vitry, Choisy-le-Roi, Ablon, Athis-Mons, Juvisy, Draveil, Villeneuve-Saint-Georges, Sucy, Champigny, Nogent, Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec et Pantin. Temps de parcours : 2h25 environ.
1er mai 1883, un service voyageurs effectuant tout le parcours de la Grande Ceinture, avec un temps de parcours compris entre 5h26 et 6h35 !
En 1884, l’exploitant lance une liaison circulaire plus courte au départ de la gare Saint- Lazare via Versailles – Chantiers, Saint-Cloud et Noisy-le-Roi. Faute de fréquentation, elle est supprimée 5 mois plus tard.
En 1882, la Grande Ceinture est connectée au centre-ville de Saint-Germain-en-Laye grâce à un raccordement entre l’actuelle station Lisière Pereire et la gare du RER A actuelle, comme le montre la carte ci-dessous. Le tracé de la Grande Ceinture est en bleu foncé, et le raccordement en pointillés en rouge.
De 1895 à 1899, cette section est utilisée par la Compagnie de l’Ouest afin de tester la traction électrique (400V, 3e rail). Il s’agit de l’un des premiers tronçons du réseau ferré français à être électrifié ! Ce tronçon restera exploité par une navette ferroviaire jusqu’en 1936.
En 1889, afin de réduire les coûts d’exploitation et le personnel mobilisé, des trains-tramways sont expérimentés sur plusieurs tronçons de la Grande Ceinture. Ces rames se composent d’une locomotive à vapeur qui tracte une ou deux voitures maximums de tramway avec des arrêts aux passages à niveau en guise de « gare ». Gain immédiat pour les voyageurs : 8 trains-tramways quotidiens au lieu de 2 trains.
En 1900, 566 trains quotidiens circulent sur la Petite Ceinture qui se trouve complètement saturée par les trains de marchandises et de voyageurs où ces derniers sont 39 millions à l’emprunter. La Grande Ceinture transporte 1 million de tonnes de marchandises et près d’un million de voyageurs.
Parallèlement, une nouvelle liaison est lancée entre la gare de Paris Luxembourg et Saint-Cyr Grande Ceinture via Massy. Les communes demandent également un train de nuit ou de théâtre pour permettre aux habitants de Saint-Cyr de rentrer des soirées parisiennes.
Apogée et déclin
Entre 1892 et 1930, le nombre de voyageurs augmente fortement sur la Grande Ceinture dans son ensemble ce qui témoigne d’une hausse de l’urbanisation autour de cette infrastructure :
- 650 000 voyageurs en 1892
- 1 Million en 1903
- 2 millions en 1930.
Dans les années 20, le trafic marchandises est tel qu’il est nécessaire de compléter la rocade à l’Est, ce qui donne naissance en 1924 à la Grande Ceinture complémentaire réservée au fret. En 1932, des gares monumentales sont créés sur cette section afin de répondre aux doléances des riverains qui souhaitent une desserte voyageurs.
En 1939, en raison de la priorité donnée aux trains de marchandises et du développement du réseau routier, le service voyageurs local cesse sur la quasi-totalité de la Grande Ceinture alors que près d’un million de voyageurs sont transportés. Le tronçon reliant Juvisy à Versailles via Massy échappe à la sentence et continue d’accueillir des voyageurs, de nos jours encore via le RER C.
Après la guerre, la SNCF lance un vaste programme de reconstruction des ouvrages bombardés dont celui du Val Saint-Léger à Saint-Germain-en-Laye. La quasi-totalité de la ligne est électrifiée par étape – à l’exception notable de la section Ouest.
Les trains de voyageurs, notamment des trains de nuits européens, des trains de colonies de vacances, des trains pour les stations de ski, les trains de pèlerins, ou encore les fameux trains auto-couchettes continuent de sillonner la ligne. Par ailleurs, le trafic marchandises croît fortement jusqu’aux années 70.
À titre d’illustration, 365 trains quotidiens parcourent la ligne en 1965. Le pic de circulation atteint près de 400 trains quotidiens en 1974, ce qui représente 15 trains/heure !
En 1977, sur la section Ouest, du fait de la non-électrification, le nombre de trains s’effondre à hauteur de 15 à 20 circulations quotidiennes. Néanmoins le trafic qui y subsiste s’avère stratégique.
Jusqu’en 1991, la Grande Ceinture Ouest permet aux communes desservies d’être alimentées en eau minérale d’Évian et de bière :
- Versailles Matelots : 26 Tonnes de boissons, charbon, matériel militaire
- Saint-Cyr GC : 1000 tonnes de matériel militaire
- Saint-Germain-en-Laye GC : 137 700 tonnes d’eau minérale et de bière.
À partir de cette année, le trafic régulier cesse et seuls quelques trains spéciaux associatifs y circulent. Les gares marchandises disparaissent au profit d’opérations d’urbanismes et le trafic assuré par train est remplacé par des camions.
Seule exception notable, le trafic militaire entre Versailles Matelots et Saint-Cyr-Grande Ceinture pour l’approvisionnement de l’ex-5e Génie de Versailles, est maintenu encore de nos jours, principalement pour les festivités du 14 juillet. Néanmoins, au regard de la baisse du nombre de trains de fret dans les années 70 sur le tronçon ouest, des projets de réouverture aux voyageurs y apparaissent.
Une renaissance progressive
En 1977, un premier projet de liaison entre la gare Montparnasse et Noisy-le-Roi est présenté au public.
En 1985, la liaison Gare Saint-Lazare – Saint-Germain-en-Laye Bel Air Fourqueux via Achères est soumise au public. En raison de l’engorgement du réseau Saint-Lazare, aucune suite n’est donnée.
En 1996, les pouvoirs publics envisagent de prolonger les trains de Saint-Nom-la-Bretèche d’une part vers Saint-Germain-en-Laye, et d’autres part vers Noisy-le-Roi. La fréquence envisagée est cadencée aux 15 minutes.
À partir du début des années 2000, une réouverture de l’intégralité de la Grande Ceinture ouest est envisagée, d’abord sous forme de train classique, puis sous la forme de tram-train. En 2004, un premier court tronçon est rouvert et ferme en 2019 pour faire place au Tram 13.
Ci-dessous, une carte de la ligne du T13 Express, reliant Saint-Cyr à Saint-Germain-en-Laye. Les points en orange indiquent les anciennes gares de la Grande Ceinture Ouest réutilisées par le tram. À ce titre, on notera que la gare de Saint-Cyr-Grande-Ceinture n’est pas concernée par le projet du T13, remplacée par la nouvelle station « Les Portes de Saint-Cyr ».
La section en pointillés indique le tracé du futur prolongement à Achères via Poissy, à l’horizon 2027. Ce dernier permettra de mettre cette nouvelle ligne en correspondance avec le RER A à Poissy et Achères, le RER E à Poissy et la ligne L à Achères.
Mentionnons également la ligne de tram T11 Express. Déclaré d’utilité publique en 2008, sa construction démarre en 2010. Son premier tronçon, reliant Épinay-sur-Seine au Bourget, est mis en service le 1er juillet 2017. Toutefois, la seconde phase du projet prévoit son prolongement à l’Est vers la gare de Noisy-le-Sec (à l’horizon 2032) et à l’Ouest vers la gare de Sartrouville (vers 2033).
Point notable, cette ligne ne réutilise pas les voies de la Grande Ceinture, qui restent l’apanage du trafic fret. Le tram circule donc sur une double-voie dédiée, parallèlement aux voies de la Grande Ceinture.
La Grande Ceinture de nos jours
En dehors de la section ouest qui a été inexploitée depuis le milieu des années 90, le reste de la Grande Ceinture constitue une ligne stratégique nationale pour le fret ferroviaire. Plusieurs centaines de trains par jour y transitent chaque jour. Sur les sections nord et sud, Île-de-France Mobilités y développe les projets du Tram 11 et du Tram 12 afin de proposer une offre de service renouvelée ou nouvelle grâce à des liaisons banlieue / banlieue.
La Grande Ceinture et la Petite Ceinture ferroviaire de Paris, deux lignes du réseau ferré national
En plus des différents points évoqués ici, ces deux lignes sont des infrastructures de transports et appartiennent toutes les deux à SNCF Réseau. Elle ne sont en aucun cas désaffectées et font partie intégrante du Réseau Ferré National.
Pereire, deux frères à la destinée ferroviaire incontournables
Les frères Pereire sont des banquiers d’origine portugaise. Ils sont à l’origine de la création de la ligne de Paris à Saint-Germain-en-Laye, première ligne de chemin de fer pour les voyageurs. Ils sont à l’origine également de la création de la section ouest de la Petite Ceinture entre la gare Saint-Lazare et Auteuil-Boulogne en 1854.
Nous leur devons également la charmante station balnéaire d’Arcachon en Nouvelle Aquitaine.
Les frères Pereire disposeront désormais de deux gares en Île-de-France, l’une sur le T13 à Saint-Germain-en-Laye, la seconde sur le RER C sur la Petite Ceinture à Pereire. C’est un fait rarissime sur le réseau de transport francilien. Le seul cas similaire concerne le Président Charles de Gaulle : la gare du RER A de la place de l’Étoile – et celle du RER B au niveau de l’aéroport de Roissy.